Six-Fours – Six N’Etoiles
Tony GEMPERLE-GILBERT : « Sois belle et tais-toi »
« Sois belle et tais-toi » est un film de Marc Allégret dans lequel Bardot est la vedette.
Mais
c’est aussi le titre d’un documentaire qu’a réalisé la regrettée et
néanmoins magnifique Delphine Seyrig. Il date de 1976 et le cinéma en
était à un tournant : Jusqu’alors le pouvoir cinématographique était
uniquement masculin… Et macho.
Delphine Seyrig, qui a toujours
défendu les femmes, a voulu réunir des comédiennes qui parlaient de
leurs rapports ambigus et difficiles qu’elles avaient avec tous les
corps de ce métier, réalisateurs, scénaristes, producteurs… Des rapports
difficiles, conflictuels qui leur faisaient payer cher l’envie d’être
actrices. Déjà par le fait que rarement le rôle principal était donné à
une femme qui servait plutôt de faire-valoir et étaient cantonnées dans
des rôles de bonnes, de putes, de mères de famille, de séductrices, de
tueuses, de folles, de nonnes, d’esclaves, pas des rôles très
valorisants et rarement des rôles de premier plan.
Elle a donc choisi
des artistes comme Juliet Berto, Marie Dubois, Jane Fonda, Shirley
McLaine, Maria Schneider, Jill Clayburgh, Louise Fletcher, Helen
Burstyn… En tout 23 femmes qui avouent, pour la plupart que si elles
avaient été un homme, elles n’auraient pas choisi ce métier mais plutôt
d’être aventuriers ! Certaines regrettant même de ne pas avoir été un
homme mais assumant leur état de comédiennes en se battant à tous les
niveaux.
Nous sommes dans les années 70 et on se rend compte que,
s’il y a eu des avancées dans ces métiers dédiés aux hommes, il y a eu
(et il y a encore !) des difficultés à prendre quelquefois leurs places…
Même aujourd’hui, il y a du chemin à parcourir.
Jane Fonda, entre autres, explique qu’arrivée à Hollywood, on ne
la faisait tourner que si elle devenait blonde, faisait refaire son nez
trop mutin, arracher des dents pour creuser ses joues, refaire l’ovale
de son menton… L’actrice n’étant qu’un accessoire pour mettre l’homme en
valeur et faire joli dans le décor… A condition d’être belle, jeune, ce
qui impliquait des rôles secondaires jusqu’à ce qu’elles deviennent
« vieilles » (très tôt !) et moins glamour. Le film aborde tous les
sujets avec humour, sobriété, recul et surtout une énergie qui rend ces
femmes touchantes et drôles mais surtout, malgré toutes les embuches
qu’elles doivent affronter, optimistes et opiniâtres.
Aujourd’hui, même si ce n’est pas encore la panacée, des femmes arrivent à s’immiscer dans ce mur épais du sexisme ambiant.
Ce
que disent ces femmes dans ce film est d’une grande justesse et plein
d’à-propos et de vérité, ce sont toutes des combattantes qui ont fait
avancer le cinéma au féminin.
Il a l’avantage d’exister à une époque où il leur était difficile de faire entendre leur voix.
Toby
Gilbert, qui fut la collaboratrice de Delphine Seyrig, est venue au Six
N’Etoiles, reçue par Noémie Dumas, directrice du lieu et Pascale
Parodi, présidente de l’association « Lumières du Sud ».

Cette « Américaine à Toulon » a gardé l’accent de son pays et en a la double nationalité.
Tony, pourquoi avoir choisi la France ?
Pour… le Moyen Âge !!!
C’est-à-dire ??
Je
plaisante mais vous savez, il n’y a pas d’Histoire à San Francisco.
J’ai quitté la ville a 17 ans, j’ai passé deux ans à New-York où j’ai
pratiqué la danse classique et suis devenue mannequin et j’ai continué
en France durant 15 ans. Je me suis mariée à un photojournaliste, je
suis arrivée en France. Lui est reparti, moi je suis restée.
Comment s’est fait votre rencontre avec Delphine Seyrig ?
Je
l’ai rencontrée en 1974 lorsque je suis entrée dans la mouvance
féminine radicale et à la Ligue des Droits des Femmes dirigée par Simone
de Beauvoir. J’y ai rencontré l’artiste Vicky Colombet qui avait fondé
un journal « Les Nouvelles Féministes ». Nous y travaillions sur divers
sujets : la contraception, la parité, le divorce, la violence faite aux
femmes…
Pour( la petite histoire, un jour, nous apprenons que
Françoise Giroud disait que la violence faite aux femmes n’existait
pas !!!
Avec l’association, nous avons ouvert la première ligne
téléphonique : le 3919 que près de deux cents association a repris. Nous
avons rencontré Delphine qui se proposait d’aller vers les femmes qui
n’avaient pas la possibilité de parler de leurs problèmes. En fait, nous
avons été les passeurs de paroles, les réveilleuses de conscience… Ca a
mis la France en ébullition !
Delphine a eu alors l’idée de faire un
film, qui est sorti en vidéo puis en DVD mais qui, à ce jour, n’était
jamais sorti à l’écran. Il aura fallu attendre 50 ans !
Et votre collaboration au film ?
Nous
étions en 74/75, Delphine venait de faire trois films importants :
« Aloïse » de Liliane de Kemadec, « Indiana Song » de Marguerite Duras
et « Jeanne Dielman » de Chantal Ackerman, des films dans la même
mouvance.
Puis Delphine est partie en Amérique pour réaliser ses
interviewes. C’était en 74/75. A son retour, elle m’a demandé de faire
la traduction en anglais et en français puisqu’il y avait des actrices
américaines et françaises. Tout était sur une cassette. Je n’étais pas
une traductrice professionnelle, j’ai tout retranscrit mot par mot sur
des cahiers. Mais ça a mis un certain temps.
Delphine en était-elle contente ?
Oui
mais elle a eu cette phrase surprenante : « Bon, c’est très bien.
Rendez-vous chez moi mardi prochain pour que tu fasses le doublage ». Au
départ j’ai refusé mais elle a insisté : « Il y a la voix de 23
comédiennes puis la mienne et tu seras la 25ème. Je veux ta
voix car celle-ci et ton accent se marieront très bien avec les
nôtres ». J’avais vraiment la frousse mais tout s’est fait en une seule
prise.
Et le résultat ?
Delphine était
contente. Mais au montage pour sortir le film restauré, il y a quelques
mois, ma voix a été enlevée dans la première partie du film au profit de
sous-titres. Je n’ai jamais trop su pourquoi, ni qui a fait cela, et
surtout sans m’en parle. Etait-ce la Bibliothèque Nationale où les ayant
droit, Delphine ayant eu un fil. D’autant que les sous-titres sont une
aberration.
J’étais à la fois déçue et très en colère. J’ai entrepris
une démarche afin de demander que la version telle que l’avait conçue
Delphine reprenne ses droits. Aujourd’hui j’attends des réponses.
Cinquante ans après, les choses ont-elles bougé ?
Même
si certaines choses se sont améliorées, les choses n’ont pas beaucoup
changé. Vous savez, cinquante ans, c’est long pour l’humanité mais c’est
court pour les femmes. La lutte est loin d’être finie, il y a encore du
travail à faire.
Si vous deviez faire un court portrait de Delphine Seyrig ?
Je
dirais qu’en dehors de son immense talent et de sa grande beauté,
c’était une femme d’une grande gentillesse, d’une belle énergie,
persévérante, opiniâtre, volontaire, qui n’a jamais baissé les bras.
Vous avez une belle idée d’elle, gardez-la comme vous l’imaginez… Mais en mieux !
Propos recueillis par Jacques Brachet