Céline GAILLEURD & Olivier BOHLER
nous racontent une Italie muette
« Italia » est un film documentaire unique en son genre, signé
Céline Gailleurd et Olivier Bohler, un couple de réalisateurs, qui
retrace la naissance du cinéma italien – muet évidemment – en 1895 à
l’arrivée du parlant en 1929.
Un cinéma alors prospère, qui a rayonné
dans le monde avant de tomber en désuétude à l’arrivée du parlant. Nos
deux réalisateurs ont fait de nombreuses recherches pour trouver ces
images rares qui ont échappé aux incendies, à la destruction, à la
guerre, aux vols.
Au départ, comme partout ailleurs, les films
étaient surtout des documentaires, historiques, de propagande, des
chroniques de guerre, des témoins d’une époque, avant qu’en 1902
naissent les premiers films de fiction, souvent tirés de romans célèbres
comme « Otello », « Roméo et Juliette », « Hamlet »… Sans voix bien
sûr, ce qui faisait dire à Pirandello qu’il haïssait le cinéma, lui
l’homme de théâtre et des mots.
Petit à petit le cinéma attira de
plus en plus de monde et naissaient alors les premières stars comme Lyda
Borelli ou Bartomoméo Pagane premier Maciste du cinéma.
Le parlant arrivant certaines stars disparurent, leur voix ne passant pas l’écran.
Ce
documentaire est un témoignage de ce que furent les premiers pas du
cinéma italien et pour accompagner ces films sans son, c’est Fanny
Ardant qui dit des textes d’auteurs comme Dali, Fellini et quelques
autres. Sa voix unique, suave, reconnaissable entre toutes, pour dire
des textes d’hommes donne à ce film une autre dimension.
Par contre, la musique paraît parfois dissonante, sinistre, intempestive.
Par
ailleurs, ce film nous fait découvrir un cinéma que l’on connaît très
peu par rapport à notre cinéma muet français ou même américain.
D’ailleurs le film est également sorti en Italie car les Italiens
eux-mêmes n’ont plus personne pour s‘en souvenir.
Au départ, c’est un projet de Céline. C’est le sujet de sa thèse qu’elle a choisi en 2010 à l’Université d’Aix-en-Provence.
Et pourquoi le film ?
A l’époque il y avait très peu de choses accessibles sur ce sujet. On a dû faire des recherches sur place, rencontré des chercheurs. De plus les restaurations en Italie n’étaient pas ce qu’elles étaient en France. A l’époque, il était plus vendeur de restaurer un film de Visconti et de le présenter à Cannes en présence d’Alain Delon ! Mais peu à peu, Céline a commencé à défricher les choses et s’est rendu compte qu’il y avait énormément de choses à montrer. En fait, il y avait très peu de spécialistes en Italie car il n’y avait pas comme en France d’obligation à sauvegarder et conserver tous les films. C’est venu très tard et beaucoup de films ont été niés, négligés et détruits.
La cinémathèque a quand même gardé des choses ?
Il faut savoir que si, en France, il n’y a qu’une cinémathèque qui centralise tout, en Italie il y en a cinq qui ne communiquent pas entre elles. Il n’est pas rare qu’une d’entre elle ait une bobine de film et qu’une autre ait la suite. Et ils ne partagent rien ! Il y a peu de restaurations complètes dans une seule cinémathèque.
Le cinéma muet les intéressait peu en fait ?
Exactement.
Il n’y avait ni intérêt, ni de moyens et ce n’est que la cinémathèque
de Bologne a commencé à s’y intéresser en 1980. De plus, les copies
étaient composées de nitrate, très inflammables et explosives. Et il y a
eu beaucoup d’accidents graves. Du coup, lorsqu’on les a reproduites,
c’était en noir et blanc même si la copie était colorisée et on a
ensuite détruit les copies d’origine. Heureusement, on a trouvé beaucoup
de copies à l’étranger car ce cinéma a eu un rayonnement mondial à
l’époque. Aujourd’hui, il y a 15% de films préservés.
C’est peu ?
En
effet, ce n’est pas énorme, mais c’est pareil à peu près partout. Et
même pire dans certains pays. A l’époque, les films ont disparu pour
nombre de raisons : la destruction mais aussi les guerres, les vols, les
incendies… Donc beaucoup de films ont été perdus. D’où aujourd’hui
l’intérêt du numérique, même si ce n’est pas le top car on perd aussi
des disques durs. Mais ça permet de mieux conserver les documents.
Comment est venue Fanny Ardant à ce projet ?
Etant
producteurs de nos films, nous voulions faire celui-ci entièrement en
France, malgré le sujet car au départ il n’était pas question d’une
version italienne. On cherchait donc une actrice qui ait une voix
particulière et l’on a très vite pensé à Fanny Ardant, tout en restant
un rêve inaccessible.
Hors, devant tourner un film dans les Hautes
Alpes, nous avions choisi une maquilleuse, qui nous apprend ne pas être
libre tout de suite car elle doit travailler à Marseille… avec Fanny
Ardant ! Nous lui demandons donc de lui parler de notre projet sans
grand espoir. Mais elle a tenu sa promesse. Le premier jour du tournage,
son agent nous appelle pour nous dire qu’elle est intéressée et qu’on
lui envoie le scénario. Nous n’en revenions pas ! Mais on était en 2017
et le film devait se faire en 2021. Elle nous dit alors qu’elle
attendrait. Et effectivement lorsqu’on a été prêt, elle était toujours
d’accord. Elle a vu le film, a lu les textes et en une après-midi elle a
tout enregistré et nous a proposé de le faire pour la version
italienne.
Pourquoi choisir une comédienne pour dire des textes d’hommes à la première personne ?
Nous
avons pensé qu’avec un homme ce serait trop redondant. Et puis c’est le
cinéma italien qui a inventé la diva avant la star. Sans compter qu’on
reconnaît aussitôt la voix et la façon de parler de Fanny Ardant !
N’avez-vous pas pensé que ça risquait de troubler le spectateur ?
On
a pensé que ça pouvait le désorienter au début mais qu’il se
rattraperait en prenant le train en marche. En fait, il finit, au bout
d’un moment, de comprendre que ce sont des textes écrits par des hommes.
Il faut juste un temps d’adaptation, accepter d’entrer dans cet univers
et se laisser aller au texte et à la voix. De regarder la beauté des
choses et d’écouter la poésie des textes.
Vous avez fait d’autres films avec Céline !
Oui, on travaille presque toujours ensemble.
En
2010 nous avons fait un film sur André Labarthe qui faisait une
exposition à Paris, en même temps que deux autres expositions : Agnès
Varda et Jean-Luc Godard.
Nous avons fait un petit film sur lui puis
un sur Godard. A l’expo de Godard on s’est rendu compte qu’il ne voulait
rien garde car il fallait tout ramener en Suisse et c’était trop cher.
Il a décidé de jeter beaucoup de choses et d’en donner d’autres aux
Emmaüs. Mais donner deux enceintes surmontées d’un tire-bouchon, entre
autres, les Emmaüs n’en n’ont pas voulu… Et on a tout récupéré !
Qu’en avez-vous fait ?
On
a pensé faire un film avec tous ces objets, en ajoutant les interviewes
et ce qu’on avait déjà tourné. On a proposé le sujet à l’INA. Du coup,
on a remonté une fausse exposition, les archives nous ont donné des
extraits d’interview. C’est le portrait mélancolique de toute une
génération, de reportages, de films. Aujourd’hui tout est entreposé…
chez ma mère !
Et Agnès Varda ?
Lorsque Céline Faisait
sa thèses, elle a appris qu’Agnès Varda cherchait une assistante. Elle
s’est présentée. Agnès aimait bien que ce soit une jeune femme et de
plus elle aimait les sujets quelle abordait. Elle avait énormément
besoin d’un archivage de ses affaires, car elle était très désordonnée.
Elle préparait « Les plages d’Agnès » et elle voulait faire des
images-souvenirs avec entre autres ses photos. Céline a travaillé deux
ans avec elle. Ce n’était pas toujours facile car elle avait un sacré
tempérament. Mais tout s’est bien passé. Sauf lorsque Céline lui a
proposé d’apparaitre sur le film de Godard : « Je ne vais quand même pas
lui servir la soupe ! » lui a-t-elle répondu. Il s’est vengé car à la
fin, lorsqu’elle a voulu le voir, elle a eu une fin de non-recevoir ! »
Noémie Dumas et Pascale Parodi sont venues nous rejoindre et l’on aurait pu encore longtemps discuter tous les trois avec Olivier, homme disert, volubile, passionné si l’heure d’entrer en scène devant le public n’était arrivée. Mais entre Marseille et Aix-en-Provence, il n’y a pas loin. Et l’on se reverra pour parler de notre passion commune : le cinéma, italien ou français !
Jacques Brachet
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