dimanche 17 mars 2024

CEUX QUI TRAVAILLENT D'ANTOINE RUSSBACH vu par Jean François Vilanova

 

Carte blanche : « Ceux qui travaillent » d’Antoine Russbach (2018). 

 

                                  par Jean-François Vilanova, association « Lumière du Sud »

 



     Antoine Russbach et Olivier Gourmet pour « Ceux qui travaillent » (2018)

 

Le Six N’étoiles de Six-Fours diffusait le 15 mars le film d’Antoine Russbach (Suisse-Belgique) dans le cadre de sa 10ème Carte blanche.

 

Un film d’une grande noirceur qui offre une plongée dans le monde impitoyable du commerce international à travers un personnage de monstre.

Et qui pose en filigrane une question existentielle : la rédemption est-elle possible quand un individu a commis l’irréparable ?

 

 

Portrait d’un monstre au service du fret maritime mondial…

 

Frank Blanchet (Olivier Gourmet) est cadre supérieur dans une entreprise de fret maritime. C’est un homme de responsabilité dont la vie est structurée par son travail plus que par sa famille. Il est froid, dépourvu d’humanité et d’empathie.

A la maison, il mène son petit monde manu militari – sa femme et ses cinq enfants-, a l’instar du lever matinal autour de tasses de café qu’il apporte avec Mathilde (Adèle Bochatay) sa plus jeune fille… directement dans les chambres.

 

Un événement inattendu survient lors d’une traversée. Un clandestin qui a embarqué en Afrique est soupçonné d’être porteur du virus Ebola. Quelle décision Frank Blanchet peut-il prendre ? Faire revenir le porte-conteneur ? Prendre le risque d’une quarantaine ?

La logique financière s’impose. Frank prend la décision radicale de demander que « l’on se débarrasse du clandestin » (ce sont ses termes) sans consulter sa hiérarchie.

On est saisi(s) d’effroi devant la monstruosité de la décision et l’absence de morale: un crime commandité par téléphone, une mort sur ordonnance non écrite en somme.

Dans ce tout petit monde, tout finit par se savoir et cette décision lui coûte son poste. Sa ligne de défense au service de l’entreprise n’a pas convaincu la direction. Sa vie bascule.

 

…Un monstre qui s’effondre et accède pour la première fois à son humanité…

 

Dès lors, nous assistons à l’effondrement complet du personnage de Franck Blanchet. Il se délite littéralement sous nos yeux même s’il se garde bien d’informer femme et enfants de la situation et se lève chaque matin en feignant de rejoindre son poste.

L’ art de sauver momentanément les apparences, car en parallèle Franck tente de rebondir en cherchant un nouveau poste, en faisant procéder également à un nouveau profil de compétences et en rejoignant un groupe de parole où il apprend à parler pour la première fois de lui.

On y apprend que le milieu fermier dans lequel il fut élevé traitait les enfants comme les bêtes en leur donnant des coups quand ils refusaient d’avancer.

Genèse d’un monstre, origine du mal.

 

C’est dans l’épreuve terrible du déclassement social que Frank accède pour la première fois de sa vie à son humanité. Il reconnaît l’horreur de son acte, en parle à sa femme, ses enfants l’apprennent également.

 

…Mais un monstre dont la vie n’est qu’en sursis ?

 

C’est parce qu’il se fait horreur qu’il envisage pour lui l’irréversible.

Et c’est dans ce moment extrême et parce qu’il a accédé à son humanité que sa plus jeune enfant, Mathilde, lui fait envisager différemment la situation. Mathilde, élève intelligente qui incarne la valeur travail à ses yeux, qui porte un regard acéré sur le monde et qui adore son père, lui apparaît comme une possibilité de rachat. Elle incarne la pureté qu’il reconnaît et qui pourrait la sauver.

Et c’est en toute lucidité cette fois, qu’il signe son nouveau contrat de travail après bien des hésitations. Un poste à risques dont il ne voulait pas, mais qu’il abordera sans illusion, car Frank a compris que la famille est bien sa priorité et sa planche de salut.

Pourtant rien n’est acquis et le dernier plan du film – Frank assis sur le bord du canapé – entouré pour la première fois des siens – ressemble fort à celui d’un homme au bord d’un précipice. Finira-t-il par tomber ?

 

Le premier film d’un trilogie initialement imaginée par A.Russbach

 

A l’origine, A.Russbach avait imaginé trois films reprenant la trilogie médiévale : « Ceux qui combattent » (les chevaliers donc la noblesse) , « ceux qui prient » (les religieux donc le clergé) , « ceux qui travaillent » (les paysans, les artisans).

Son objectif était de passer cette ancienne division au crible de la société contemporaine. Il n’a à ce jour réalisé que l’un des trois volets. Cela reste son unique film.

 

 

« Ceux qui travaillent » est une attaque en règle contre un certain monde du travail, le plus engagé dans la mondialisation économique et financière et qui nous nourrit au quotidien.

Ramené au parcours d’un seul individu à responsabilité, Frank Blanchet, il pose clairement la question de ce que l’on est prêt(s) à sacrifier pour une entreprise et… sa réussite professionnelle.

 

Le résultat est terrifiant.

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